Chapitre 2

Le lendemain matin j’entre rayonnante au bureau. J’ai mis un pull moulant, à col roulé, et noir pour que mes cheveux apparaissent au maximum de leurs reflets dorés. Je suis saluée par un concert d’acclamations. Enfin c’est ce qui ce serait produit si je n’étais arrivée un quart d’heure avant tout le monde. Nadja, la femme de service est seule avec son chariot de nettoyage. Elle dit :
- Tiens, vous êtes allée chez le coiffeur.
Elle a les yeux cernés, les traits tirés. Elle se lève dès potron-minet pour nettoyer les locaux avant que le personnel arrive, et elle se couche tard dans la nuit parce qu’elle nettoie quatre études de notaires après leur fermeture. En journée, elle fait des ménages chez des particuliers. Elle a été recrutée par Pôle Emploi du deuxième arrondissement. C’est notre copain Fredo qui l’a casée chez nous, mais maintenant Jeanne s’occupe de ses bulletins de salaire, car elle a tellement d’employeurs que l’URSSAF ne s’y retrouve pas. La fille de Nadja, fragile, fait de fréquents séjours en pédopsychiatrie,  et son fils est plus souvent dans la rue qu’à l’école. Bref, à côté de la vie de Nadja, celle de Gervaise est un chemin pavé de roses, prétend Jeanne que je soupçonne de n'avoir jamais lu « L'Assommoir ».
Je gagne mon bureau, et je consulte ma liste de rendez-vous pour la matinée. Par la fenêtre je constate qu’une file commence à se former sur le trottoir. Il y a trois femmes et deux hommes. A leur allure je suppose qu’ils ne viennent pas pour moi, mais pour Jeanne. J’ai toujours moins de monde, parce que je m’occupe des cadres. Ils sont moins nombreux que les autres, mais encore plus durs à caser, et ils ont tous des dossiers compliqués à monter. J’ai trois rendez-vous pour le matin. Le premier est un certain Stanislas Valentin… ou Valentin Stanislas ? La secrétaire naurait-elle pas inversé les noms J’imagine immédiatement que mon rendez-vous a du sang polonais, et je vérifie par la fenêtre s’il n’y aurait pas dans la file sur le trottoir un grand blond aux yeux bleus, ou un petit gros rougeaud aux yeux bleus. Chez les Polonais, les deux versions sont possibles. Personne ne ressemble à ça… J’ai le temps de ranger mon bureau avant la venue de Stanislas Valentin. Je vais garder les noms dans cet ordre pour le moment…
A neuf heures deux minutes, les filles arrivent toutes ensemble. Elles ont du prendre un bus de ramassage scolaire. La salle d’accueil se transforme, et s’emplit de pépiements cacophoniques. Nadja bat en retraite, dehors la file s’est multipliée par trois, et les demandeurs d’emplois se redressent, l’œil plein d’espoir, persuadés que les bureaux vont ouvrir sur le champ. Jeanne entre en coup de vent, et dépose sur ma table un sachet de papier où s’étalent deux taches de gras, et qui fume bon le petit pain au chocolat.
- Tiens, prends des forces, la matinée sera longue…
Je la remercie, mais elle est déjà repartie et ouvre son bureau. Je la vois par la vitre qui nous sépare, enlever sa veste et ouvrir la porte de son placard. Elle ne cherche pas des dossiers, mais le miroir qui est accroché à l’envers de la porte. Elle se recoiffe, et se passe du rouge sur les lèvres. Elle n‘a pas dû avoir le temps ce matin. Elle se lève tôt pour préparer un solide petit déjeuner à son Butor. Il est « commercial » chez Citroën. Jeanne prétend que c’est un travail « physique », et je ne vois pas en quoi, sinon par le fait qu’il a de gros besoins alimentaires. Ludovic a ouvert les portes et les gens s’engouffrent dans l’agence. Ludo leur désigne le dérouleur de numéros. Ce sera chacun son tour. Il demande à ceux qui ont des rendez-vous de se faire inscrire à l’accueil. On va les appeler. Trois femmes se présentent. Elles ont rendez-vous avec Joëlle et Alain. Mon Polonais n’est pas arrivé. Il est en retard. Cest mauvais signe. Il ne simagine pas que je vais me dévouer pour lui sil commence par ficher en lair ma matinée !Je regarde par la fenêtre une nouvelle fois. Encore des gens qui se préparent à pousser la porte de l’agence… Finalement mon téléphone retentit. Ludo me dit que mon premier rendez-vous est là. Bon qu’il entre. Je m’installe à mon bureau, l’œil rivé sur l’écran de l’ordinateur. Il doit comprendre que je suis très occupée. La porte s’ouvre doucement. Je vois un grand maigre aux yeux noirs, aux cheveux bruns en bataille, et au teint mat. La Pologne n’est plus ce qu’elle était … J’hésite en lui faisant signe de s’asseoir :
- Monsieur … euh …
Il m’aide :
- Valentin. Je m’appelle Stanislas Valentin.
Stanislas doit bien être son prénom.
- C’est la première fois que vous venez ? Vous n’avez pas de dossier chez nous.
- C’est la première fois que je suis licencié.
Aïe ! Ça commence mal.
Trois quarts d’heure plus tard, il m’a raconté sa vie. Il a un master en droit du patrimoine. Il travaillait à Brest chez un notaire. A l’en croire, il était quasiment devenu son associé. Et puis il a rencontré la femme de ses rêves, mais la condition pour vivre avec elle était de la rejoindre à Marseille. Elle ne supportait pas la distance. Elle voulait son copain quotidien, et l’amour plan-plan. Je pense « encore une bien de sonépoque : celle dune post-modernité qui ignore la passion. Ce qui compte, cest de dabord chercher ses aises…». Et je me mets à rêvasser sur un objet extrêmement intéressant : moi-même. Au fond, je nappartiens pas à ce temps. Je serais plutôt du dix-neuvième, au mieux de la première moitié du vingtième.
Mon interlocuteur a cessé de parler, et me regarde d’un air bizarre. Il a dû s’apercevoir que j’avais décroché. Revenons à notre mouton.
- Oui, je vous écoute, précisai-je.
Il reprend le fil de son histoire. Il a cherché pendant un an un emploi équivalent dans le Sud–Est, en vain. Finalement pour travailler près de sa Dulcinée, il a accepté dans une compagnie d’assurance un poste moins intéressant et moins bien payé… sauf que la compagnie vient de fusionner avec une autre et opère des réductions de personnel. Le dernier arrivé est le premier licencié, et c’est lui. Il a trois mois pour trouver autre chose, de préférence dans un quartier éloigné, parce que sa belle vient de le plaquer pour un pharmacien maigrichon, mais propriétaire de son échoppe située deux rues plus loin. Je lui jette un regard apitoyé. Il ne doit pas être très malin pour s’être laissé piégé comme ça. Je lui donne la liste des pièces à me remettre pour constituer un dossier sérieux, et je lui promets de m’occuper de son cas de façon prioritaire. Nous convenons d’un autre rendez-vous la semaine suivante, et enfin il s’en va. Je suis en retard de vingt minutes sur mon planning. J’espère que je vais rattraper le temps avec la visiteuse suivante.

A dix-huit heures, je sors crevée. J’ai fait une heure de plus pour mettre à jour mes dossiers après les rendez-vous. Je déteste me retrouver seule dans l’agence, mais c’est toujours comme ça après une journée de congé. Je médite sur l’aveuglement des hommes tout en marchant à vive allure, quand soudain une silhouette m’intrigue. J’aperçois, sortant de mon immeuble, mon Polonais… Il nhabite quand même pas là ! Ça ne correspond pas à l’adresse qu’il m’a donnée. A moins quil ne soit allé voir sa belle… mais il m’a raconté qu’elle ne voulait plus entendre parler de lui… Il a l’air de chercher quelque chose ou quelqu’un. Il a sorti un bout de papier de sa poche et il écrit. Il a peut-être eu une proposition d’emploi. Mais je ne me souviens pas qu’il y ait une étude de notaire dans cet immeuble. Je me remémore les plaques professionnelles appliquées sur le mur des boîtes aux lettres. Si je fais abstraction du cabinet vétérinaire au rez-de-chaussée, il y a six médecins, quatre dentistes, un professeur de piano, et deux psychothérapeutes, plus quelques conseillers fiscaux qui travaillent en free-lance.Quest-ce que mon diplômé en droit du patrimoine serait aller faire chez eux ? Il lève le nez vers les étages. Il semble les compter. Bon courage ! Il y en a trente-trois plus la terrasse avec la piscine… Tiens, il renonce. Au moment où je suis si près qu’il pourrait m’apercevoir, il tourne le dos et s’en va à grandes enjambées.
Je pénètre dans le hall, et fonce sur ma boîte aux lettres pour prendre mon lot de factures et de publicités. La première chose que je vois c’est l’avis de passage du facteur pour un recommandé bien adressé à Valentine Gandemer. Je peste. Il m’a eue ce Flamand trop poli. Une fois de plus j’ai manqué de présence d’esprit. Sans compter qu’il était sûr de mon acceptation… J’aurais dû refuser :
– Désolée Monsieur, je pars faire un tour dEurope et je serai absente au moins un mois… Le colis aurait fini par être retourné à lenvoyeur
Je prends l’ascenseur jusqu’à mon appartement en maugréant et jette un coup d’œil au passage à la porte de Rainer Waldvogel. Le serrurier a dû passer. Tout est normal à part des éraflures sur le bois, le long du penne. Chez moi, je vérifie que j’ai le temps de prendre une douche avant de voir l’émission d’Ali Badou. A peine entrée dans la salle de bain, j’en ressors pour décrocher le téléphone qui vient de faire entendre sa musique – je devrais en changer – elle est traumatisante. Je dis un « allo » peu amène, et j’entends l’accent de Monsieur Waldfogel tinter dans l’appareil. Il s’excuse mille fois – quil abrège donc – et me dit qu’il m’appelle d’Anvers – tiens, finalement il est parti malgré sa porte fracturé– N’aurais-je pas « par hasard » reçu le fameux colis à lui destiné ? Je réponds aussi poliment que le permet mon impatience que oui, justement oui. J’ai reçu l’avis de passage du facteur. J’irai chercher l’objet dès que cela me sera possible. Il demande « demain ? ». Quest-ce que ça peut faire puisquil ne revient que dans trois semaines ? Mais je suis trop bonne : « Oui, demain. » Il semble rassuré et prêt à faire la conversation. Je suis pieds nus et le carrelage est froid. « Il ne finira donc jamais ? » Je réponds par monosyllabes, il finit par soupçonner qu’il dérange. Encore deux minutes d’excuses, et il me dit au revoir. Enfin une douche. Quand j’ouvre le robinet, je me dis qu’il n’a pas l’air très affecté par l’effraction dans son appartement.


L’émission d’Ali Badou se termine. Je n’ai rien noté que ceci : pour être éditée, il faut faire remettre le manuscrit par quelqu’un de la maison d’édition. Voilà ce que j’ai retenu des interviewés du jour. Je réfléchis, mais je ne connais personne. Ah ! si, peut-être. Jeanne a trouvé un stage chez Sud-Sud à un jeune licencié en Lettres en attente de formation. J’appelle Jeanne illico. Que peut-elle faire pour moi ? Je tombe mal. Le Butor a faim, et Jeanne mijote le dîner. Elle est pressée. Elle a le temps de me dire que le travail du stagiaire en question consiste à transporter les invendus dans les sous sols de la maison d’édition en attendant leur pilonnage. Le licencié es lettres est l’adjoint de Kamel, grand chef manutentionnaire. Elle ajoute qu’il n’a pas droit même au SMIC puisqu'en formation. Pourrait-il remettre mon manuscrit à un directeur de collection ? Jeanne éclate de rire. Il ne sort pas des sous sols. Il ne connaît que le seul Kamel. Elle en profite pour me rappeler qu’on va au Sushi restaurant vendredi soir et que je dois « me faire belle ». « Ça y est, elles mont trouvé un galant potentiel, quand cest un éditeur dont j'ai besoin » Je raccroche, découragée. Il ne reste plus qu’une possibilité : j’ai lu dans « Marseille 7 », le journal gratuit, que Régis Garance faisait une conférence dans l’auditorium de la FNAC la semaine prochaine. J’ai quelques jours pour acheter et lire ses livres. J’irai l’écouter et après je le séduirai par ma connaissance de son œuvre, ma conversation, et le petit tailleur Vintage aperçu dans une boutique rétro, et que je m’achèterai demain. Rassérénée, je consulte ma boîte mail au cas où un éditeur aurait déjà dévoré mes quatre cents pages. Ce n’est pas le cas, et je n’ai que quatorze pubs, cinq messages de ma mère, sept de ma sœur qui me demande un conseil urgent pour ses partiels de droit pénal, et tiens, c’est quoi ça ? un message d’un certain « stanval »… transféré depuis ma boîte mail de l’agence : Stanislas Valentin…
Il me dit qu'il peut me ramener les papiers demandés pour constituer son dossier dès le lendemain. Peut-il avancer le rendez-vous ? Je n'ai pas mon agenda à la maison, il devra attendre la réponse. Et ce dernier mail? C'est une carte animée d'anniversaire de la part des filles de l'agence. Pour la voir il y a un numéro de code à donner quand on a cliqué sur le lien. J'hésite. Je déteste ces cadeaux qu’il faut aller chercher soi-même. Enfin, elles sont toutes gentilles, et je devrais les remercier, autant aller voir… En deux clics, j'y suis : Horribile visu ! Elles m'ont abonnée à « Fidelic VIP », site de rencontre hyper cher, et qui donc garantit des partenaires intéressants (de quel point de vue ?). Un an ? Elles m’ont abonnée pour un an ! Elles n'ont pas misé sur le coup de foudre ! Je suis décidée à laisser tomber… Las !  Les icônes s'animent. En me connectant, j'ai activé l'inscription, et ma boîte s'emplit déjà de messages aux noms bizarres avec fichiers attachés : les photos qui vont avec les noms. Au secours je suis cernée…
A cet instant, il y a un grand branle-bas dans mon couloir. Je tends l'oreille. C'est la voix de la gardienne. Je reconnais son accent et ses multiples « Pétard, et Bonne Vierge ». Elle semble furieuse. Y aurait il eu un nouveau cambriolage dans l’immeuble ? Je vais doucement jusqu'à ma porte d'entrée coller mon œil au judas. Elle est dans le hall près de l'ascenseur et s'exprime en faisant force gestes. Ses cheveux d'un blond flamboyant restent figés dans leur gangue de laque. Pour le reste, c'est un véritable bouleversement… Son pull en mohair bleu tressaute sur son opulente poitrine, et son jean donne des signes de lassitude. Il a glissé jusqu'au nombril où un pli de graisse l'a heureusement arrêté dans sa chute. Elle a les joues rouges de rage, et ses yeux de génisse, comme dirait Homère – mais à l'époque cela renvoyait à la beauté – sont exorbités comme si elle était atteinte d'un goitre exophtalmique. Elle vocifère devant le petit vieux du bout du couloir. Outre qu'il est tourangeau et a le plus grand mal à traduire le marseillais en français standard, il est sourd de chez sourds dès qu'il ne porte plus son sonotone. Et là, si l'on en croit son visage en même temps apeuré et perplexe, il doit l'avoir oublié.
La gardienne obstrue la sortie de l'ascenseur et le pauvre homme est aussi mobile qu'un papillon piqué sur une plaque de liège. Est-il responsable de son courroux ? Je change d'œil pour renouveler mon champ visuel. Elle désigne quelque chose sur le sol. Ah oui, je comprends. La moquette est couverte de poussière noire, et de d'enduit mural sur une surface de trente centimètres carrés. Elle est aussi parsemée à cet endroit de bribes colorées qui ressemblent à des bouts de fils électriques. Le reste sans doute du travail de l’artisan qui a arrangé la serrure du Flamand.
La gardienne a une voix de fumeuse quinquagénaire, et je sens ma porte vibrer sous l'effet des graves. Son accent marseillais rend incompréhensible ce qu'elle raconte, mais je crois deviner que les ouvriers ont travaillé comme des gueux. Elle ne dit pas « gueux » ; je traduis poliment. Elle entame son couplet favori contre ceux qui ne s’emploient que pour toucher le RSA, et qui sabotent (ce n'est pas non plus le mot qu'elle utilise) l'ouvrage, parce qu'ils sont nuls et paresseux (nouvelle euphémisation de ma part) et tant qu'on y est, voleurs, et coupeurs de gorges : le petit vieux ferait bien de vérifier qu'on ne lui ait rien volé, et de ne pas s'attarder le soir avec son chien, ou seulement s'il troque son ratier contre un berger allemand… D’ailleurs si Monsieur Waldvogel avait été plus prudent et avait bien fermé sa porte à plusieurs tour, sa serrure n’aurait pas été forcée. Les portes blindées, ça ne marche que si on les ferme convenablement.
Je retourne à mon ordinateur. J'en ai assez entendu.
Vais-je consulter les messages transmis par Fidelic ? Misère, j’en ai une bonne dizaine. Dois-je répondre à tous ? Et que disent-ils ?
J’ouvre le premier message. Il s’agit d’un Bosniaque qui m'envoie en anglais un poème glané sur un traducteur internet. Je lis « When you were born it was raining, but it was not rain - there were tears,weeping sky, because it lost its most beautiful star ». La photo jointe au texte est impressionnante. Il a un cou de taureau, et les épaules tombantes.
Je passe à un autre  qui se dit « chargé de communication », et envoie trois lignes et le lien de son site. Je clique. Il est comédien par intermittences. Je fais défiler la série de photos. Il bondit, s'étire et s'élance sur une scène, vêtu d'un T-shirt marin moulant et d'un collant noir. Je découvre son CV à compter de l'âge de trois ans, illustré de multiples photos de lui sur lesquelles chaque fois apparaît – comme il dit – un trait saillant de sa personnalité. Je passe en revue – avec la rapidité de l’éclair - son œuvre complète et les commentaires flatteurs qui l’accompagnent, la liste de ses auteurs favoris, de ses artistes préférés, de ses acteurs fétiches, de ses activités de prédilection, de ses engagements politiques, de ses voyages "à la suite des conquêtes d'Alexandre", de ses hobbies et plaisirs. Il suffit. Ce garçon n’est pas fait pour moi.
Le troisième message est celui d’un certain "Promeneur discret" qui me demande si je suis plutôt "collant" ou "bas noirs", "gaine" ou "porte-jarretelles". Celui-là, je vais lui répondre tout de suite. Mieux vaut le décourager rapidement. J’écris une ligne de regrets : on ne pourra pas s’entendre, car je suis "bouillote et grosses chaussettes".
Le quatrième mail est d'un homme de petite taille, plus tout jeune, atteint d'une certaine calvitie. Il se dit critique littéraire. Je ne connais pas la revue dont il parle. Il est fan d'Amélie Nothomb et Anne Galvada : méfiance. Un soupçon me vient : quel profil les filles ont-elles fait de moi pour que sur quatre postulants, trois se piquent de littérature ? J'ouvre mon profil. C'est accablant ! Et en plus, elles ont mis des photos ! Ça fait toujours plaisir de découvrir ce que l'on pense de vous : je vois que je suis une « intellectuelle » (-femme cultivée aurait été plus juste -), « distinguée » (– c'est glaçant, elles auraient pu dire chic ouélégante ), j'ai « un physique agréable » (– belle ou même jolie, ça existe dans la langue française -), je suis « peu sportive » (- comment ça ? Je nage comme un poisson…-), « aimant les arts, la littérature, la philosophie » (- mais elles veulent faire fuir tous les prétendants ?) « Peu encline aux travaux ménagers » (- je peux difficilement le nier, mais était-il nécessaire de le faire savoir ?-) A la rubrique : Loisirs favoris : elles ont inscrit « danse » (- où ont-elles été chercher ça ?-), « écriture de fictions », (- comme si ce n'était qu'un loisir !). Je me sens offensée dans la représentation de mon art… enfin au moins de mon activité. De dépit je ferme la page du site, et vais consulter les pages d'éditeurs peu connus qui semblent en attente de manuscrits.

Et voila qu’un nouveau message arrive, j’entends l’alerte alors que je sui plongée dans le catalogue de Gallimard – d’accord, je sais, ce n’est pas le moins connu des éditeurs. Ma messagerie sautille et gêne ma lecture. Le seul moyen de l’arrêter est de lire. Je lis. Le mail est d’un certain Gustave Doré. C’est une blague ? Non, seulement un abonné du site de rencontre. Il n’y a qu’une ligne : un taciturne sans doute. Il écrit :
« Je t'ai entrevue aujourd'hui. Je ne souhaite que te voir et t'aimer dans tes moindres détails... »
Je ne prends pas le message au sérieux… Pourtant, j’éprouve un certain malaise. Je veux bien qu’on m’écrive, mais « m’entrevoir », c’est une autre affaire. Je veux voir qui me voit. Bon, l’auteur du message raconte une histoire sans doute. D’ailleurs quand on s’appelle Gustave Doré, c’est inévitable. Cela me laisse songeuse. C’est quand même mieux qu’une lettre d’insultes...
Du coup je ne bronche pas quand le chien du vieux monsieur de tour se met à aboyer. Il le fait chaque fois que l'on sonne à la porte de son maître. J'ai seulement un mouvement de compassion. Mieux vaudrait que la concierge se soit éloignée, sinon elle aurait une nouvelle occasion d'agonir le pauvre homme...

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